L’Histoire de la carpe

Étymologie & Mythologie de la carpe

On déballait les carpes du Rhin, mordorées, si belles avec leurs roussissures métalliques, et dont les plaques d’écailles ressemblent à des émaux cloisonnés et bronzés …

ZOLA

Cette superbe description de la carpe traduit parfaitement bien le nom scientifique mi-grec, mi-latin donné par Linné en 1758 à ce genre de poisson : « Cyprinus carpio ». Les Grecs l’appelaient « κυπρίνος » -cyprinos- c’est-à-dire « originaire de Chypre », comme le cyprès ou le cuivre…qui ont la même étymologie : Kupris ! (Voir aussi la signification de la carpe koi : en général, au japon et dans le tatouage)

Cette Cypris désignait non seulement l’île de Chypre, mais avant tout sa déesse tutélaire, Aphrodite (Vénus pour les latins), déesse de l’amour et de la beauté. Or Aphrodite, littéralement, c’est celle qui est « née de l’écume », mais quelle écume ! Avec elle, nous sommes au cœur de la mythologie ! Son père était Ouranos (Uranus), le dieu du Ciel, époux de Gaïa (la Terre). Il avait la fâcheuse habitude de dévorer ses enfants mais l’un de ceux-ci, Cronos, en avait réchappé, et pour mettre fin à cette malédiction, trancha les organes génitaux de son père et les lança dans la mer…où ils tombèrent dans une gerbe d’écume qui fut poussée par Zéphyr, l’un des dieux du vent, de Cythère à Chypre où elle échoua. C’est là, sur le rivage , près d’un rocher que l’on peut toujours voir, la « Petra dou Roumiou » -la pierre du romain-, non loin de Paphos, sur la côte occidentale , au milieu d’un paysage grandiose, que naquit alors Aphrodite Cypris…et sans doute ses petites sœurs les Carpes !

Quant à l’origine latine du mot « carpio » linnéen, elle serait plutôt à chercher du côté de l’Europe de l’Est : la karpfen germanique désignait un gros poisson du Danube que les Latins appelèrent alors « carpa ». Mais l’on ne peut non plus s’empêcher de penser aussi qu’en latin, « carpere » veut dire cueillir mais aussi « brouter » pour les animaux et « carpatinus » semblable à un cuir grossier : deux mots qui pourraient également décrire parfaitement notre commère la Carpe !

(Retour à notre guide complet sur le poisson carpe koï pour tout savoir sur cette carpe d’origine japonaise.

La carpe commune à l’assaut des continents

A l’origine de nos fameuses carpes koï, se trouvent les carpes communes. Il existe environ 1.500 espèces ou sous-espèces de carpes dans le monde. Notre carpe commune est originaire d’Asie Mineure et d’Asie moyenne et a ensuite étendu naturellement son aire de répartition vers l’Est (Chine), le Sud et l’Ouest (bassins de l’Euphrate et du Danube), probablement à la fin de la période post-glaciaire, soit il y a 8.000 à 10.000 ans !

Puis on la retrouve de la Turquie au Japon et dans les bassins de la mer Noire, de la Caspienne et de la mer d’Aral. Dans le bassin de l’Amour, elle s’hybride avec d’autres espèces voisines. Sa distribution s’élargit fortement vers le Nord et vers l’Ouest en Europe. La carpe a été l’un des premiers poissons introduits en France, il y a plus de 2000 ans, par les Romains, puis élevés ensuite tout au long du Moyen Age par les moines. Charlemagne (742-814 après J.C.) a été le premier souverain à ordonner à ses fermiers de maintenir mares et étangs pour l’élevage des carpes. En France, entre 1300 et 1500, les monastères développent et exploitent de nombreux étangs de production de carpes. Les connaissances en aquaculture évoluent lentement et souvent l’agriculture prend le dessus sur l’élevage piscicole et à partir de 1800, de nombreux étangs disparaissent. Elle s’est largement répandue sur l’ensemble du territoire à l’exception des zones de montagne (Alpes, Pyrénées). Ce poisson osseux, au squelette entièrement ossifié, est le plus gros de nos cyprinidés. La carpe est aujourd’hui très présente dans toute l’Europe et les pêcheurs connaissent bien ce poisson.

La carpe est actuellement présente dans toute l’Europe sauf en Norvège, dans le nord de l’Angleterre et dans les pays baltes. Elle a été introduite aux Pays-Bas en 1899. En Amérique du Nord où la carpe fut importée d’Allemagne en 1877, la situation a évolué de façon totalement différente. Elle agrandit très rapidement sa zone de répartition, elle est élevée dans de nombreux étangs, puis colonise les lacs, rivières avant de voir sa progression stoppée vers 1950 par une mortalité massive liée au contact de maladies inconnues jusque-là dans leur continent d’origine.

La carpe part à la conquête de l’Amérique du Sud, de l’Afrique, elle arrive  en Australie en 1860, en Afrique du Sud, à Madagascar en 1896 ainsi qu’en Afrique centrale et dans le Sud-est asiatique.. En Australie elle est considérée comme nuisible et fait l’objet de destructions massives. On la retrouve rapidement en Israël où elle fait l’objet d’élevages intensifs avec des productions énormes (plusieurs tonnes à l’hectare). Dans le même temps en Asie, se développe une carpiculture familiale et rustique. Chaque agriculteur a sa production de volailles et de carpes (source importante de protéines).

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De la carpe sauvage à la carpe d’élevage

Le développement de la carpiculture (élevage de la carpe) en Europe centrale était au départ essentiellement freiné de par les limites imposées par les températures. Ensuite, les progrès techniques de l’élevage et le contrôle de la reproduction et la sélection ont permis de sélectionner des variétés de carpes qui grossissent mieux dans les eaux fraîches où naturellement la carpe d’origine ne se reproduit pas régulièrement. 

Dans l’Europe du Sud, la carpe est réellement indigène, ainsi dans le delta du Danube, les carpes se reproduisent en énormes quantités. Ces carpes (appelées aussi carpes rouleaux) présentent une morphologie très allongée : rapport longueur/hauteur = 3,4 contre 2 à 2,5 pour les variétés sélectionnées en élevage. Car il existe chez cette espèce un très grand polymorphisme (hauteur-longueur, écaillure, couleur…) lié à de fortes aptitudes d’adaptabilité à des conditions de milieu variées (eaux courantes, eaux stagnantes, eaux saumâtres…). Des différences importantes séparent les carpes sauvages des carpes domestiques d’élevage, les premières à corps plus cylindrique et oblong (type koï), les secondes à corps plus haut et plus massif.

En Europe la sélection des carpes communes pour l’élevage va se faire selon des critères de croissance et de forme (rapports longueur/hauteur et hauteur/épaisseur). Plus ces rapports sont faibles plus la carpe est intéressante pour le consommateur. Les poissons les plus recherchés ont des indices de hauteur inférieurs à 2,6. Ainsi naît toute une série de races de carpes :

  • Carpes écailles : Le corps est allongé et trapu recouvert de grandes écailles disposées régulièrement. La bouche, protractile, est munie de fortes lèvres portant 4 barbillons. La carpe possède une seule dorsale longue et une anale courte. Le dos est brun et vert et les flancs sont à reflets dorés et le ventre blanc à jaunâtre.
  • Carpes miroir : Le corps est plus trapu. Son dos est brun foncé. Ses couleurs sont les mêmes que celles de la carpe commune avec des flancs jaunâtres et dorés. Cependant, les carpes miroirs ont une écaillure incomplète. Le corps est en partie à nu avec une peau qui ressemble à du cuir et en partie muni de grosses écailles le long du corps. A noter qu’il existe une appellation de carpe royale, des carpes qui sont munies d’une seule rangée d’écailles sur le dos.
  • Carpes cuir : Le corps est robuste. Il est totalement dépourvu d’écailles. En moyenne, les carpes ne dépassent pas le mètre pour 10 kg. Il n’est quand même pas rare de trouver des poissons de 10 à 20 kg. Certains sujets peuvent exceptionnellement dépasser les 30 kg. Les carpes ne vivent généralement pas plus de 20 ans.

Au Japon, depuis plus de 2000 ans, les carpes sont domestiquées et élevées, en alternance, dans les rizières en terrasse des fermes. Les cultivateurs de riz les élevaient pour les manger, mais quelque part entre 1820 et 1830, ils commencèrent à élever et croiser des poissons présentant des mutations de couleur. Les fermiers conservaient les poissons les plus colorés comme animaux de compagnie, pour le plaisir des yeux. Pour passer l’hiver (2 à 3 mois de neige) elles étaient rentrées dans des « bassins » intérieurs. 

La carpe possède un certain polychromatisme. Certaines couleurs ont été obtenues par sélection génétique : variétés ornementales avec du rouge, bleu, orange, jaune, blanc, noir… Cette création de variétés de différentes couleurs étendit leur renommée et petit à petit les koï furent admirés par un nombre croissant de japonais. L’empereur Hirohito en 1914 choisit de mettre des koï dans les douves du palais Impérial ce qui contribua grandement au développement de nouveaux élevages. Le terme Nishikigoi fut donné à ces carpes colorées pendant la deuxième guerre mondiale. 

Au cours du XXème siècle, le commerce des variétés colorées et sélectionnées s’est développé fortement. Les pays possédant déjà une connaissance de l’élevage des carpes (Israël, Asie, Malaisie, Indonésie et dans d’autres pays asiatiques chauds) se sont également lancés dans ce commerce lucratif. Les méthodes d’élevage des Nishikigoi sont inspirées de l’aquaculture traditionnelle (grossissement rapide en vue de la consommation) et portent donc sur des carpes originaires d’Asie Mineure (corps allongé) qui par la suite ont été croisées avec d’autres variétés au corps plus trapu en provenance d’Europe (Allemagne, carpes cuir…) et habituées à des températures plus basses.